Conte : Les enfants de la Terre



Je suis un sac à histoires.

J'aime l'idée d'être un sac à histoires.
Les histoires, je les collecte, les tourne et retourne dans tous les sens, en cherche l'intérêt, la morale, la vertu...
Je suis un sac à histoires, et voici qu'est tombée dans ma besace, en ce début d'année, une histoire sur le début de la vie, sur les origines. Elle raconte l'Homme, les Hommes. C'est un récit parmi d'autres, je suis sûre qu'il existe des centaines - que dis-je, des centaines, des milliers - d'autres récits sur les origines, mais moi, c'est celle-là que j'ai retenue.
Parce que j'aime les loutres et les étoiles.

Alors voilà, en ce début d'année qui me rappelle les débuts de l'Humanité, mon récit sur Ses Origines.


Une nuit, une comète qui vagabondait en une longue course autour du soleil passa à proximité d'une planète dont la surface étincelait. Curieuse, elle s'approcha et vit son propre reflet ainsi que celui de milliers d'étoiles dans une gigantesque étendue d'eau. Ce qu'elle découvrit d'elle-même, un astre brillant avec une chevelure d'argent, l'incita à s'avancer davantage pour mieux se détailler : c'est ainsi qu'elle tomba dans la mer et coula jusqu'au fond. Alors qu'elle se maudissait d'avoir été aussi maladroite, un animal vint à elle, fluide et souple, avec une tête ronde, des yeux étirés et des poils lisses.
― Bonjour, qui es-tu, demanda la comète ?
― Je suis Loutre, répondit l'animal. Et toi ?
― Une comète maladroite qui s'est penchée un peu trop pour admirer son image : Voilà ce qu'il m'en coûte, car je me suis noyée. C'est mon châtiment.
― Tu n'es pas noyée, tu es simplement dans la mer. L'eau n'est pas un châtiment.
― Mais ce n'est pas mon élément ! Tu vis dans l'eau, toi ?
― Je suis aussi à l’aise dans la mer que sur la terre, répondit Loutre. Je suis en équilibre entre les vents du grand air et les émotions profondes des eaux. Et toi ?
― De planètes en astéroïdes, je voyage autour du soleil, dont le rayonnement souffle sur ma chevelure d'argent qui s'allonge au fil du temps.
Voyant qu'elle ne pouvait le faire seule, Loutre sortit Comète de l'eau. La nuit était claire, et elles se racontèrent longtemps, voyages, découvertes, rencontres... Quand elles se furent tout dit, un grand silence envahit la berge.
La comète envisagea la loutre : Elle faisait un grand et beau voyage, certes, mais elle était condamnée à suivre toujours la même trajectoire. La vie de Loutre lui parut un vrai trésor.
La loutre envisagea la comète : Elle pouvait passer à sa guise de l'air à l'eau, certes, mais ne pouvait pas voyager sur de longues distances qui l'éloigneraient trop de la mer. La vie de Comète lui parut un vrai trésor.
Elles s'écrièrent en même temps :

― Je t'envie, Loutre ; Je t'envie, Comète.
Mais le souffle du vent qui séchait la chevelure de la comète et le poil de la loutre se permit d'intervenir :
― A quoi cela vous servira-t-il de vous envier l'une et l'autre. D'après ce que je vois et ce que j'entends, moi, je dis que vous êtes complémentaires, et que c'est une très belle et bonne chose !

Le vent avait raison. On dit qu'à la suite de cette rencontre, la comète et la loutre s'unirent, et que de leur amour naquit la première femme et le premier homme.
 »
  



Je suis un sac à histoire, et c'est ce secret des origines qu'on y a déposé : Est-ce exactement comme cela que ça s'est passé ? Je n'en sais rien. Toujours est-il que c'est une certitude, les femmes et les hommes sont faits de parcelles d'étoiles, de terre et d'eau, issus de l'immensité de l'univers et de la profondeur des océans.
Comme la comète, ce sont de grands voyageurs, et ils ont aimé parcourir leur planète et la découvrir toute entière, d'un pôle à l'autre...
Comme la loutre, les hommes et les femmes se sont adaptés à tous les milieux, ils ont recherché la liberté des grands espaces, les mystères des profondeurs des mers, et se sont installés partout...
Comme l'union de l'espace et de l'eau le laisse deviner, les femmes et les hommes sont devenus multiples, proches mais différents, variés mais uniques. Ils ont changé, selon l'endroit où les ont mené leurs voyages.

Ils se sont adaptés.

Quelles que soient nos origines et nos racines, nous sommes avant tout les enfants de la Terre et des étoiles.



Tous ne sont pas nés de la même mère,
Tous n'ont pas le même grain de peau,
Tous n'ont pas la même lumière,
Tous ne vivent pas dans le même ghetto.

Tous n'ont pas la même espérance,
Tous n'ont pas la même force de vie,
Tous n'ont pas eu la même chance,
Tous n'ont pas de draps dans leurs lits.

Fruits de la paix ou de la colère
Tous pourtant,
Tous pourtant sont des enfants
Les enfants de la Terre.